Je vais te dire quelque
chose. Je tape depuis des jours maintenant. Cloîtré, ici. Je n'ose
pas sortir. Et je ne sortirai plus. Ma dernière demeure. Pas loin de
toi. Je tape depuis des jours, je répète en boucle depuis des
semaines, je retape sans arrêt depuis des mois, des mois, je copie,
recopie sous tension, éclair, pupille, rubis, satori, iris dilaté.
Je remake la même phrase depuis des années. Je visionne les mêmes
bandes depuis des siècles et maintenant je suis prêt. Je vais te
dire quelque chose mon Amour. Mon Amour. Mon Amour. Mon Amour. Mon
Amour. Mon Amour. Mon Amour. Mon Amour. Mon Amour. Mon. Amour.
>Ça commence comme
ça. Au vingtième étage. Tu ne réponds pas. J'imagine que l'avenue
President-Kennedy est au pied de mon hôtel. Ici tu sais, je comprime
et j’insuffle des balles dans un chargeur, le chargeur de mon
glock, celui que je t'ai mis dans le ventre tout à l'heure devant la
tirette. Ici, tout le monde a un gun. C'est quoi, c'est rien. C'est
le far-west. Bagdad. Je sais que l'avenue President-Kennedy est au
pied de mon hôtel. Je viens de prendre l'avion. Il y a un siècle
comme si c'était hier. Je suis tendu. Nerveux tu vois.
Tu t'es cru chez Disney ?
Avec un français romantique en direct de Panam ? Mais ici ma
Belle, c'est l’événement CNN. On ne se déplace pas pour rien. Je
te mets un canon scié sur la tempe et tu vides tes comptes sur le
trottoir. Une mare. Tu te vides en fait, dans la rue. Sors le
chéquier. 26 dollars l'action. Fais tourner l'info c'est de la
bonne. Tu verras tout ça en différé si tu t'abonnes. Au pire, je
vais te le linker.
Ouais au début, j'ai
voulu te tuer.
Et puis finalement.
Forevers yours. Forevers
yours. Forevers yours. Forevers yours. Forever yours. Forever yours.
Yours. Yours. Yours. Yours. Yours. Yours. Yours. Yours. Yours. Yours.
Yours. Yours. Yours. Yours.
(Une nana est déjà
venue refaire le plein du frigo. Et le lit. Et les serviettes dans la
salle de bain.
Tu sais bien que je suis
pas blindé. Je peux pas rester longtemps. C'est ça le pire,
tout ce transitoire, ce flottement, ce truc presque irréel je sais
que c'est éphémère.
Je ne pourrai pas rester
dans cette chambre d'hôtel. Et tu ne réponds pas. J'arrive pas à y
croire. Engourdi. Le scénario infernal. Le ciel rouge du crépuscule.
L'impossible en mire. Alors je tape, tape, tape. Tout ce qu'il me
reste. Je tape depuis des jours maintenant. Dans la chambre
silencieuse.)
> Pourquoi bordel. Seul ici. Là. Nuages, vent. L'hôtel avance, vaisseau fantôme
aux sonars défaillants. La ville en bas bruisse de grincements
rouillés. La télé. Je bloque sur des images passées. Tout ce
qu'il reste, ce sont des photos noircies – navire en perdition,
silence radio, ondes brouillées, voix dans la tête, station sur
orbite silencieux. Silence radio.
Je suis la chondrite qui
t'a frôlée la nuit dernière.
Inanna. Entre tes cils,
je voyais tout. Je t'écoutais. Te croyais.
Ton absence a bouleversé
le relief. Recouvert le monde. You took my heart away – et tu n'es
pas là. Tu ne réponds pas. Ton khôl m'a juste laissé des
empreintes acides, des cernes sulfuriques. Je ne sortirai plus.
Cloîtré, ici. C'est ça la fin de l'histoire. La suite, c'est le
néant. Tout le vivant a été vécu. A été vécu. Vécu. Vécu.
Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu.
Vécu. A été vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu.
Vécu.Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu.
Vécu Vécu. Vécu. Vécu.
Des SUV circulent en bas.
Pensées perforeuses,
roborative, rotatoire, rotative, giratoire, tentative, gyroscopiques,
pensées à trous, des pointillés finissent les phrases que je
commence, les phrases qui s'enchaînent d'elles-mêmes depuis que tu
n'es plus, n'es plus là, je ne sais pas où, des incipits traçants
explosent à droite et à gauche de la route, pleine lune, sans
éclairage public. Pensées snipers, rêveries killeuses, ne me
restent que des mails et des photos. C'est chaud. Je ne sais pas où
tu es. Dans cette ville que je ne connais pas. À part sur Google
Earth.
Je tape. Je tape je ne
sais même pas où tu habites.
> Tu ne sais plus où
tu habites. Ça avait commencé en débarquant à l'aéroport ce
sentiment, cette idée d'étouffer, pris dans les rets d'un truc
indéfinissable, insidieux, surveillance vidéo, des caméras dans le
dos, des mouchards, l'asphyxie dans le monde réel, à l'air libre.
Cette sensation de vide. De transmissions bloquées.
Ça avait commencé
exactement quand tu n'avais pas répondu. Comme si je m'y attendais
en réalité. Comme si tout était joué d'avance. Des rails jusqu'au
fond du camp. La neige.
Une immense et intense
impression de fin du monde a recouvert le monde. Le monde. Le monde.
Le monde. Le monde. Le monde. Le monde. Le monde. Le monde.
L'immonde. L'immonde cadavre. Cadavre. Cadavre. Cadavre. Le monde
muet. Sourd. La neige. Sourd. Ailleurs. Je me tire. Je tape depuis
des jours maintenant. Le réel électro-choqué. Chambre 237.
Défribillateur. Je tape des points, des traits, des lettres, des
mots, stakhanoviste des rêves zombies, ouvrier à la chaîne du
darkness qui plombe le ciel brouillé de Montréal.
Black friday. Minuit je
crois. Je suis seul, seul, seul dans cette pièce. Depuis des jours
tu vois. Je n'arrive pas à te joindre. Tu sonnes sans répondre. Tu
me laisses en absence. En absence. La fin du monde. Je te jure
Inanna. Comme une noyade au ralenti.
Nous, c'est moi
maintenant. C'est moi qui tape dans cette chambre d'hôtel.
(...)
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