Chaque jour
le feu est rouge. Je m’asphyxie pour passer le temps. Ça me colle la gerbe de prendre
du recul. Je sais que demain je n’aurai le temps de rien et que
demain matin je reprendrai cette route de l’autre côté de
la ligne blanche et que demain soir je serai arrêté au même feu que ce soir où
je pense déjà à demain et à après-demain en me disant que le week-end approche
mais que la semaine prochaine sera la même, et, je sais déjà que je serai
bloqué au même feu en pensant au lendemain dans l’autre sens. Le cerveau ravagé
sur papier millimétré. Je suis un corps à disposition burn-outé dans l’étrange
quotidien. La nausée.
Je fais
quoi mis à part payer le loyer, l’eau, le gaz,
l’électricité, le téléphone, l’abonnement internet, la bagnole – Merci aux Créateurs ! – l’essence, le contrôle
technique, la vignette pollution, la vignette de la ville, la vignette de
stationnement, des fringues, des chaussures, des péages d’autoroute, des
clopes, de la dope, des pressions, des médicaments, des sandwichs triangles.
Cette liste est incomplète – aide le bon
citoyen Lapin à trouver cinq autres choses qu’il a pu s’acheter grâce à son
emploi.
Orange.
Merde. Les gens sont vraiment cons. Sur la route c’est pire. Je fume pour
passer le temps. Je suis une donnée. Je m’asphyxie. Un identifiant. Je regarde les gens dans les voitures. Le feu
est rouge overdose. Ne juge pas si tu ne veux point être jugé. Chacun
joue avec le jeu distribué. Les RTT. Choisis de remplir le bon formulaire, ça
se limite à ça en vérité.
C’est pas
l’extase.
Je
suis le petit personnel qui marche à coup de collier-étrangleur. J’ai choisi
cette réalité alors que je savais que j’y serai inadapté.
Les profils des individus
éliminés seront publiés dans un délai de 24h
Je tiens comme je peux. On n’a pas
véritablement le temps de récupérer. Programme survie. En
rentrant après le boulot, je m’arrête à la supérette.
Deux packs de 6. Le monde tremble. Paranoïa sensitiva. Tiser stabilise. Je crois
de plus en plus que tu ne peux pas forcer ta nature. 2,6 unités dans le canapé.
Les concessions n’ont qu’un temps. 3,9. J’enchaine les nuits d’insomnie devant
la télé.
7,8. Je ne sais pas ce que je regarde. Je
bois de plus en plus. 10,4. Mais je me retrouve. La réalité est encore plus étonnante.
Au bureau, ça chuchote. Quand ils te tiennent, ils ne te lâchent plus.
Ils se taisent quand je m’approche. Ils me demandent si ça va. T’es sûr ?
Me disent que j’ai l’air fatigué. Ils semblent s’inquiéter. Je ne sais pas.
Plutôt l’impression d’être surveillé. Comme s’ils faisaient des rapports sur
moi.
Ma vie ressemble à celle des autres. Ad libitum aeternam. Les histoires sont semblables. Les vies se confondent en une seule. On
partage le Premium Quality pour se
rassurer. Les mêmes petites indignations. Mais la même peur semble animer
chaque client des toilettes publiques –et si jamais on restait bloqué ? Je
sais pas, mais en plus, je suis pas sûr que la 4G passe à l’intérieur.
Aucun manquement à la
règle ne sera toléré. Les collègues te taclent. Ils ne te loupent pas. Chaque
retard a droit sa réflexion. Chaque pause. Chaque oubli. Tout en négatif. Ça se passe comme ça chez Mc Donald’s.
Les gardiens du temple sont bien dressés.
Je tiens comme je peux.
Le Psy était immense.
Il a évoqué les résultats de mon hémogramme ainsi que tous les autres résultats
de tous les autres tests que j’avais dû passer. Il m’a dit de ne pas
m’inquiéter même si, que tout allait bien se passer. Que c’était une chance
d’être pris en charge. Et puis que c’était son boulot, qu’il l’aimait, qu’il en
voyait bien l’utilité, que c’était nécessaire dans le monde dans lequel on vit.
Et il s’est tu.
S’est mis au fond de
son fauteuil en cuir.
A croisé les jambes.
Et m’a regardé sans me
regarder, avec bienveillance et inquisition.
Il faisait sombre dans
le cabinet. Les rideaux étaient à demi tirés. Il faisait bon. Le silence ne me
gênait pas. J’ai cru entendre la pluie tomber dehors.
(…)
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