mardi 8 mai 2018

Matrix City Blues [6.3]



L’éclairage change. J’enchaîne les verres. Le mot exact, c’est le blues. L’idée d’une immense tristesse béante, d’un siphon exponentiel tourbillonnant au ralenti. Dé-corporation dans le pulsar psychédélique, je suis ici et ailleurs. Dans un coin derrière des têtes, je vois ISSUE DE SECOURS. Je ne contrôle rien.
Tu as conscience que tu ne tires pas les ficelles de ce qui t’arrive, de ce que tu dis, de ce que tu réponds. Tu sais que tu es entraîné dans un truc que tu ne gères pas du tout. Je bois comme un automate. Fume comme un robot. Syncope.
Tu regardes, regardes autour de toi. L’obscurité c’est le pli du miroir dans lequel tu te regardes jouer ton rôle immuable, gravé, que tu joueras à l’infini si tu continues comme ça. J’entends des voix.
Les blouses blanches matérialisées en algorithmes verts s’entortillent sur la barre à lap-dance. Ecoute-nous, tu es ici comme un hologramme programmé, un programme réglé comme du papier à musique, une programmation blues en HD dans laquelle tu ….. héros. Tu … dan …ogiciel ….rapie portemen….tuell….Tu ……ends ? …u nou…….tends ? Il faut que tu tiennes en… un peu….inquiète pas, on est… àà…


un larsen strident
et
le bruit blanc

Veuillez nous excuser pour cette interruption de la diffusion.

https://www.youtube.com/watch?v=nWtFy3jzlUE&index=19&list=PLTLWlUmI9rlVi8XWWNGBsSgh2Bsswpi7t
Je me suis dit : le vernis craque.
Induction musicale. J’allume la dernière cigarette du paquet. J’ai déjà vécu cette situation. Je ne connais pas le nom du bar. Je n’arrive pas à m’en souvenir. Le vide. Je ne connais personne. Ce n’est jamais la même serveuse qui vient à ma table. Seul à ma table. Dans le bar. A écouter du blues. La musique seule me raccroche à un monde familier. Le reste est hostile. Potentiellement hostile.
Je suis fait comme un rat.
Je sentais bien depuis le début que quelque chose m’échappait.
Comme un hamster dans sa roue.

Le sujet n’aura aucun souvenir précis de ce qu’il aura vécu dans le logiciel. Tout comme avec les antidépresseurs et les benzodiazépines classiques, sa mémoire sera reconfigurée, tout souvenir traumatisant en sera rayé. L’avantage de la méthode, c’est qu’il n’y a justement plus aucun traitement médicamenteux. Tout repose sur autre chose. On fait revivre pour faire comprendre. 

(…)


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