5.
Le
néon rose clignote sous la fenêtre. Je suis le premier. Le premier dans la
capsule. La télé est allumée. D’autres écrans proposent la carte de l’hôtel. Un
livre est posé sur la table basse. Derrière moi, un Queen Size avec un mandala
psyché sur le couvre-lit. Encens, statuettes de Ganesh, coussins multicolores,
lumières tamisées et frigo rempli de boissons. Chambre Woodstock. Pas
mal mais pas ma préférée. J’ouvre une mignonnette de Jack. Je roule un joint.
J’aime
bien ces rendez-vous, ces rendez-vous secrets. Le secret. L’attente surtout.
L’attente juste avant. Les quelques minutes qui précèdent. Le BPM à 100, 120,
140, 160, 175, 180 à mesure qu’approche l’autre.
Le
rose clignote. Hôtel électrique. Ça fait trente-trois jours que je suis en vie
et tout a tellement changé que j'ai envie de continuer. Et qu’est-ce que vous avez répondu ? C’est l’aventure. Chaque jour désormais, je me lève bien
parce que je dors bien. Je me sens jeune. Je ne sais pas si c’est dans le
sentiment, la dépression ou le je-m’en-foutisme mais je laisse couler. Je ne
sais pas QUI je découvre, mais ça me plaît.
Vous venez d’ouvrir ce livre posée sur la table basse.
Vous êtes Jean-Aimé-Khalid,
antique et valeureux produit de la société de consommation. Il vous reste bien
une dizaine d’années à faire. Vous avez presque fini de payer le crédit de la
maison. Vous savez déjà que vous partirez en DAP parce que ça va bien cinq minutes. Votre tâche n'est pas
surhumaine mais pour accomplir votre soif d'argent, vous faites souvent des
concessions. Des ulcères. Des coloscopies. Vous y croyez mais vous avez perdu
tous vos cheveux. Votre PERCO gonfle. Votre PEE et votre prostate aussi. Vos
actions sont comme des étoiles. Vous amassez. Vous cumulez les heures
supplémentaires. On ne va pas faire un dessin. Votre vie est plutôt classique.
Dans la norme. Et tout a toujours plutôt bien marché. Les études. Les filles,
la fille. Les stages. Le mariage. Le CDI. Les enfants. La maison et cætera.
Vous avez toujours passé haut la main tous les check-points qu’on se doit de
valider pour être validé.Tapez
1, vous rentrez chez vous maintenant. Tapez 2, vous restez.
Vous
revenez tout le temps au love-hôtel. Tout a glissé. Vous
échouez désormais dans une des 150 chambres au moins une fois par semaine en fin de
journée avec un stock d’alcool et d’herbe et/ou autre. Vous repartez
généralement vers minuit car vous êtes prudent. Lorsque vous rentrez à la
maison tout le monde dort, ou pas. Le briefing a encore été interminable, vous
êtes fourbu, vous prenez une douche et allez vous coucher.
N’abandonnez
pas. Lisez jusqu’au bout.
Vous
mangerez avec votre femme et vos deux grands enfants le lendemain soir. Vous
regarderez brièvement la télé. Vous boirez une infusion sous le porche. On peut
se faire plaisir et se dire que votre femme sera peut-être, peut-être avec vous
même si. Les enfants seront sortis. Vous ne tenterez même pas de dormir. Les
soirs sans rien faire, ça tourne dans la tête. Beaucoup trop. Vous irez dans le
jardin d’hiver avec un livre. Une feuille. Un stylo. Impossible. Un verre de
whisky, la bouteille. Des cigarettes. Vous roulerez des joints et vous les
finirez à l’aube. Vous laisserez un fond de whisky dans votre verre. Vous irez
voir l’aube sur la mer. Vous vous baignerez nu dans les vagues fraîches. Vous
éviterez de penser. Vous éviterez de faire le point. Vous éviterez de passer
les années en revue. Vous éviterez de réfléchir gravement. Vous éviterez de
penser. Zéro charge mentale. Vous éviterez de réfléchir. Vous resterez sur OFF.
Assez pour pouvoir rentrer en silence et aller dormir.
Vous
seul êtes maître de votre destin.
(…)
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