vendredi 30 décembre 2016

Babylon MMORPG (3)


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Immergé dans un labyrinthe urbain. Une nouvelle ville dans un nouveau monde. Une autre vie. Une découverte à chaque seconde. Imaginez la puissance d’un nouveau moteur. Une sensation d'ivresse dans un métavers où tu n’as pas vraiment encore tes repères.
Shhh. Je couvre chaque centimètre carré. Tags, phrases, mots, lettres – griffes. Sous les chemtrails en négatif et les Blu-ray qui strient les silences incubés au-dessus des flaques brunes. Tunnels, halls, métro, fourgons, banques, assurances, vitrines. By night. Chaque centimètre carré. Je repeins chaque nuit les murs de la ville numérique. 
Je me souviens que mon corps physique est chez moi dans la pièce immersive, je ressens aussi les éléments du monde numérique qui m’entoure palpiter dans la nuit. La rue est réelle. Il fait froid. Je fais de la brume quand je respire à travers mon foulard.

Pour les personnes sensibles, nous conseillons de prendre un anti-nauséeux notamment pour les dix premières connexions.

Le jeu va bientôt prendre une nouvelle tournure. Pour l’instant, il n’y a pas vraiment eu d’objectif mis à part découvrir le monde et gagner des créds d’une manière ou d’une autre. Ici, c’est pareil que dehors. Il te faut du pèse. Alors à chacun de trouver quoi faire pour en récolter. En gros, tu peux graffer, hacker, dealer, voler, braquer, receler. Que de l’illégal. Et chaque action que tu accomplis à 100% te rapporte des créds qui te permettent de passer au niveau supérieur et d’ouvrir la ville.
J’ai décidé de finir mon graff avant de me déconnecter.

Plus besoin de joysticks, manettes ou autres contrôleurs pour jouer. Il n’y a plus de barrières ; juste vous et votre corps, des pieds à la tête.

Je n’ai que peu de lumière, la lueur des lampadaires s’enfuie dans le brouillard sous la pluie. Mes bombes marchent mal. Le mur est détrempé. Faut que je termine le graff pour passer le niveau. Une sirène irradiée se rapproche. Merde.
Même si ce district est assez relax en théorie, il faut faire gaffe. Partout, il faut faire gaffe. Car les flics ne font pas dans la dentelle. Si on te chope à taguer les murs dans ce monde, ils ne font pas de quartiers : ils te dessoudent.
Chaque acte illégal est puni par la police. Et la loi pour la police c’est de tirer sur tout contrevenant. C’est la règle, la règle du jeu. Dans Babylone, l’espace public ne t’appartient pas.
Tu es prévenu dès le début du game: tu n’es pas le bienvenue dans cette ville. Tu incarnes un futur résistant.
Si tu te fais avoir, l’unique solution est d’auto-ressusciter pour quelques créds. Auto-ressusciter, cela signifie que tu vas te télécharger dans une entité vivante ici, dans le métavers. Chaque personnage simulé possède son propre niveau basique de conscience. Comme un programme vierge que tu complèteras et qui prendra peu à peu ton identité en jouant. Tu pourras toujours te payer une chirurgie esthétique si tu veux que ton avatar te ressemble comme l’initial. Sinon tu acceptes de changer de tête, de sexe et de morphologie dès que tu te réincarnes.
Au cas où tu n’as plus de créds et que personne ne peut t’en refiler, tu dois attendre une semaine, sept jours, le temps de ressusciter, et ça, ça peut être long.

Ce produit est un jeu et doit être considéré comme tel.


(...)

dimanche 23 octobre 2016

Apparemment des catégories



https://www.youtube.com/watch?v=JwO8o9E9yV0

il m'a dit,
les patrons hypocrites sont sûrement mandatés par les lobbys pharmaceutiques pour que nous consommions des anxiolytiques à la pelle - bout à bout j'ai le cerveau en bouillie de bouillir sans rien dire il a rajouté,
viol moral insidieux, à chaque jour suffit son pénible salaire
à rester bloqué dans cette rhétorique rasant long les murs
cette petite technique rhétorique de petite vie en bureau - 

ta petite vie, la mienne, celle des autres, toutes en fait, des codes-barres à la con. tu vois le délire, on est juste des numéros de sécu, des zéros qui s'ajoutent à d'autres zéros et ça fait du peuple. alors les mecs se comportent comme des chefs parce qu'il faut que ça aille droit et y'a du monde à gérer, faudrait pas que ça vire à l'émeute. et c'est quoi le quotidien quand tu bosses ? tu t'en prends plein la gueule. j'en pouvais plus de ça mon pote, je te jure, je n'en pouvais plus.

(...).

samedi 15 octobre 2016

Babylon MMORPG (2)

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// RV activée
// Interfaçage Neuronal en cours
Niveau 3

https://www.youtube.com/watch?v=098w_DG8JoI&list=PLTLWlUmI9rlWn6JDfoj6Deq2PVQQyMP6h&index=38

Il fait froid et humide, comme toujours depuis le début du jeu mais c'est peut-être pire aujourd'hui. Septembre explosé dans la lave industrielle. Le décor sombre, le ciel bas, les cumulus verts bouteille, oxydés. Les boulevards encombrés, le bruit sourd et continu des voitures roulant au pas. Les énormes néons fluos des enseignes verticales. 
Une pluie sournoise, gelée et acide me troue le cou. Capuche. Les gouttes glacées, effilées, strient la rue de lames vertes qui éclairent les flaques entre les trottoirs mécaniques bondés. Les escalators horizontaux chargés de salarymen roulent dans toutes les directions. C'est l'heure de pointe à Babylone.
Les chemtrails en blue-ray illuminent les contours métalliques de la mégalopole en 3D. Tout va très vite. La ville en plein rush fin de journée. L'affluence. Tu vois des attachés cases brouillés, des costumes, des tailleurs, des pixels gris hyperactifs qui se déversent, qui débordent dans les rues. Dans tous les sens. Des flux qui se croisent tous azimuts. Qui se traversent. Sans cesse. Turbulence urbaine. Tu entends de la musique. Des portables qui sonnent. Des cris. Des bips. Des bouts de phrases. Des coups de frein. Des klaxons. Une sirène se rapproche. Des gyrophares. Septembre asperge sa laque diffuse.  
Je marche là-dedans.

Pour l'instant, les cheats codes sont inactifs, je suis donc soumis à la simulation commune permanente. J’ai lu quelque part que le début était calme pour s’habituer. S’immerger.

Je marche. Je m'éloigne du centre névralgique. La Ville répond à un schéma assez classique, concentrique. C’est un damier logarythmique, genre de labyrinthe sous globe, un quadrillage implaccable de caméras. Les megapixels de surveillance tracent chaque recoin et suivent chaque citoyen de la Ville. Mais il existe quelques petites rues plus calmes. Des coins où tu peux éviter les caméras. C’est la zone légale, le 5 % admis sans surveillance vidéo. La loi s’y applique pourtant. Comme partout ailleurs dans le jeu. Mais c’est assez tranquille pour taguer et faire du créd.

La nuit déjà. Sample d'une sirène au loin. Shhh… Je recouvre vite, clac clac, l’intérieur des lettres sur le mur devant moi. Chuintement du spray. L’odeur de solvants. Zone d’explosion 0. Le froid. La vapeur trouble qui s’échappe de ma bouche.
Je fume. Je fume en graffant, en grattant les briques sombres. La perception n’existe que par l’esprit. Connections neurogéniques directes. La clarté de la lune. L’ombre de mon bras. Le bruit de la bille en acier dans la bombe. Ma capuche. Mon ombre à capuche. Le goût de l’herbe. Slogans on the walls. Tout est bien réel. Je graffe.
Babylone en mode nocturne. Des bruits dans la rue mais rien d'identifiable. Du flou. De l'ambigu. Du potentiel. Tout peut arriver. Tac-tac-tac, shhh. Prendre mon temps. Laque by night dans les connectiques, le nocturne flottant entre les auréoles sodium et les flaques roses. Pour l’instant, personne dans la rue. Laque septembre. Laque système.
Une sirène quelque part.
Lumière réverbère.

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mardi 4 octobre 2016

Matrix City Blues (2)


https://www.youtube.com/watch?v=ZGH2pZgAMOA&list=PLTLWlUmI9rlVi8XWWNGBsSgh2Bsswpi7t&index=2

Ça avait commencé comme ça. Sur un solo de guitare.
Tu étais partie dans l’obscurité bleue du bar nous commander à boire.
On venait de danser, on voulait se parler, on avait soif. Je t’ai suivie du regard entre les silhouettes évanescentes jusque derrière le comptoir nous servir nos verres. J’étais assis sur une banquette en moleskine rouge. Tapez 1, tapez 2. Sauvez les candidats de votre choix tant qu’il est encore temps. Sous les spots infrarouges. Dans la fumée dense, et le blues. Ici. Là. Dans la virtualité de la nuit. Le whisky tourbé. L’écho du saxo qui rôde, instable. Les mêmes bandes crackées qui explosent les murs.
Repeat. Tapez 1, tapez 2. Sauvez les candidats de votre choix tant qu’ils sont encore là. Bruits des voix éthérées mélangées en boucle. Ambiance bar de nuit. Une taffe.
Tu étais revenue avec les boissons sur un plateau et tu avais fait :
« Je travaille ici, tu sais ? »

Sur scène, une silhouette liquide se détoure en chantant Since I’ve been loving you juste en face du bar.
<< Viens. Approche-toi. Oui, à côté de moi.
On vient de danser. Tu viens de nous ramener les verres. On fume. Je bois avec toi, mon amour inconnu. Basses, voix et glaçons dans l'écho brisé. Les stroboscopes stridents éloignent et rayent les ombres qui dansent. Nous laissent seuls sur la moleskine. Tu es là. Au centre du bar. Connection. Attraction, vibrations, destin et tout le cirque de l’ocytocine. Riff de blues, guitares bleues derrière les fumigènes-électrophones. Taffe.
Mascarade enfumée. Dès qu’une ombre se ramène près de ma table, je crois que c’est toi, toi qui arrive avec notre plateau, toi qui vient poser tout ça sur la table et t’asseoir à côté de moi, toi qui m’envahit, toi. Le blues tu vois, je le sens comme si un 38 tonnes m’était passé dessus.  
Taffe.
Je buvais sans parvenir à redescendre, I’m about to lose my mind, hanté par des visions qui s’incarnaient et disparaissaient au fil de la musique. My worried mind. Souvenirs d'autres rêves. Toutes ces heures, tous ces soirs à nous parler, nous chuchoter. M'amènent là. En croix. Des images aux trousses. Tapez 1, tapez 2.
Tu avais fait :
« Je travaille ici, tu sais ? Mais je resterai pas longtemps. »

Dès le début, j’avais craint ton départ.
Je buvais. Je buvais un énième whisky sans parvenir à décoller. A articuler. Démonté. Défoncé. Démantibulé. Cassé. Eparpillé. Ensorcelé. Epris d’un rêve sans répit. Addict. Recyclant les mêmes souvenirs dans cette nuit en boucle, ce bar enfumé où tu n’étais plus qu’un hologramme capricieux. Queen of pain.
Syncope.

C’était mon premier verre avec toi. Bruits des voix mélangées en boucle. Ambiance bar de nuit. Tu avais allumé une cigarette, m’avais regardé et avais fait :
« Tu sais, je ne fais que passer dans le coin. »



(...)