dimanche 25 septembre 2016

Matrix City Blues (1)

 BO (track 01)


Ça a commencé comme ça.
Je buvais un énième whisky sans parvenir à décoller. A articuler. Démantibulé. Cassé.
Revenu là. Par les trottoirs mouillés, les flaques. Les caniveaux sombres entre les ronds imprécis des  lampadaires. Ici. Revenant chaque soir ici, à travers la pluie, là, pour croiser dans l'azote, traîner dans les ruines, buter sur la porte, le videur, les mêmes fantômes hurlants, fragmentés, figés, les statues apocalyptiques de la nuit. Riffs cryogénéisés. Accords zombies. Glacés. Revenant toujours. La basse syncopée. Ici. Là. Le même air. Dans ce club dont l'intérieur semble – regarde – dévasté, délité, bouffé, violé, des touffes d'herbes poussant ça, là sous les tabourets, sous les enceintes, des toiles d'araignées recouvrant le dance-floor, des cafards sous les tables basses, les fausses étoiles, la boule à paillettes, les couloirs difformes et ravagés, gouffres, les murs défoncés, une épaisse couche de ciment, coke et strass à côté des lavabos, les verrous pétés, venin, les banquettes en moleskine éventrées, saignantes, le sol enchevêtré de milliers de mandragores mutantes. Mortes-nées. Ce même club où. Chaque soir. Monotone. Épris d'un rêve sans répit. Fané. Riff de blues.

Derrière les fumigènes déchirés, une silhouette liquide se détoure en chantant Since I’ve been loving you juste en face du bar, de toi, de moi, taffe, je me souviens - le chanteur balance les mots que je veux dire, le sortilège, ta voix, la bière, tes yeux, les rivières de whisky, tes cheveux que tu coiffais à l'infini dans l'oeil de la caméra et tout ce hasard, ce hasard qui te fait dire et me fait acquiescer dans l'ombre que ce n'est pas le hasard, les villes brillantes, minuit, tout ce qu’on s’est dit, tes rires. Les jours possibles. La fumée serpente dans les spots bleus. Sans décoller.  Une boucle. À l'infini. Clic. Un programme qui recycle les mêmes images. Qui se mord la queue. Feuillette. Tu visionnes de près les mêmes bandes fissurées, celles qui, depuis la base secrète, se faufilent dans la lumière bleue. Sur l'écran. Clac.
Taffe. La nuit. Le blues. La guitare. Ici. Comme une pierre électrique. Qui grossit. Emporté par le courant. Qui se rapproche. Se fond. S’éclipse. Distorsion de souvenirs, carte postale rouillée : les remous carmins sur la moquette tâchée. Obstruction et écran noir. Encéphalogramme plat.

Je buvais un énième verre sans parvenir à décoller. J’étais là. Avec la musique. Ici. Dans la fumée. Le bruit. Les voix. Toute l’ambiance du bar le vendredi soir.
Ouais, j’étais là et carrément en plein bad trip pour tout dire. Black et monotone.  
Guitare, échos sombres. Riff azote. Fumigènes électrophones. Kaléidoscope en gros plan, r a l e n t i, spots roses et silhouettes de couples souples dans le verre de mon verre vide. Le blues. I've been working from seven, les spots comme l'enfer, baby, to eleven every night. Les fumigènes en double-hélice. Le son psyché. Les guitares éthérées qui se déploient. Tentacules. Seul à ma table dans la foule, dans le bruit des autres. Le blues. Le VRAI blues tu vois.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire