samedi 29 septembre 2018

Love Hôtel [4]



5.
Le néon rose clignote sous la fenêtre. Je suis le premier. Le premier dans la capsule. La télé est allumée. D’autres écrans proposent la carte de l’hôtel. Un livre est posé sur la table basse. Derrière moi, un Queen Size avec un mandala psyché sur le couvre-lit. Encens, statuettes de Ganesh, coussins multicolores, lumières tamisées et frigo rempli de boissons. Chambre Woodstock. Pas mal mais pas ma préférée. J’ouvre une mignonnette de Jack. Je roule un joint.
J’aime bien ces rendez-vous, ces rendez-vous secrets. Le secret. L’attente surtout. L’attente juste avant. Les quelques minutes qui précèdent. Le BPM à 100, 120, 140, 160, 175, 180 à mesure qu’approche l’autre.
Le rose clignote. Hôtel électrique. Ça fait trente-trois jours que je suis en vie et tout a tellement changé que j'ai envie de continuer. Et qu’est-ce que vous avez répondu ? C’est l’aventure. Chaque jour désormais, je me lève bien parce que je dors bien. Je me sens jeune. Je ne sais pas si c’est dans le sentiment, la dépression ou le je-m’en-foutisme mais je laisse couler. Je ne sais pas QUI je découvre, mais ça me plaît.



Vous venez d’ouvrir ce livre posée sur la table basse. Vous êtes Jean-Aimé-Khalid, antique et valeureux produit de la société de consommation. Il vous reste bien une dizaine d’années à faire. Vous avez presque fini de payer le crédit de la maison. Vous savez déjà que vous partirez en DAP parce que ça va bien cinq minutes. Votre tâche n'est pas surhumaine mais pour accomplir votre soif d'argent, vous faites souvent des concessions. Des ulcères. Des coloscopies. Vous y croyez mais vous avez perdu tous vos cheveux. Votre PERCO gonfle. Votre PEE et votre prostate aussi. Vos actions sont comme des étoiles. Vous amassez. Vous cumulez les heures supplémentaires. On ne va pas faire un dessin. Votre vie est plutôt classique. Dans la norme. Et tout a toujours plutôt bien marché. Les études. Les filles, la fille. Les stages. Le mariage. Le CDI. Les enfants. La maison et cætera. Vous avez toujours passé haut la main tous les check-points qu’on se doit de valider pour être validé.Tapez 1, vous rentrez chez vous maintenant. Tapez 2, vous restez.

Vous revenez tout le temps au love-hôtel. Tout a glissé. Vous échouez désormais dans une des 150 chambres au moins une fois par semaine en fin de journée avec un stock d’alcool et d’herbe et/ou autre. Vous repartez généralement vers minuit car vous êtes prudent. Lorsque vous rentrez à la maison tout le monde dort, ou pas. Le briefing a encore été interminable, vous êtes fourbu, vous prenez une douche et allez vous coucher.
N’abandonnez pas. Lisez jusqu’au bout.
Vous mangerez avec votre femme et vos deux grands enfants le lendemain soir. Vous regarderez brièvement la télé. Vous boirez une infusion sous le porche. On peut se faire plaisir et se dire que votre femme sera peut-être, peut-être avec vous même si. Les enfants seront sortis. Vous ne tenterez même pas de dormir. Les soirs sans rien faire, ça tourne dans la tête. Beaucoup trop. Vous irez dans le jardin d’hiver avec un livre. Une feuille. Un stylo. Impossible. Un verre de whisky, la bouteille. Des cigarettes. Vous roulerez des joints et vous les finirez à l’aube. Vous laisserez un fond de whisky dans votre verre. Vous irez voir l’aube sur la mer. Vous vous baignerez nu dans les vagues fraîches. Vous éviterez de penser. Vous éviterez de faire le point. Vous éviterez de passer les années en revue. Vous éviterez de réfléchir gravement. Vous éviterez de penser. Zéro charge mentale. Vous éviterez de réfléchir. Vous resterez sur OFF. Assez pour pouvoir rentrer en silence et aller dormir.
Vous seul êtes maître de votre destin.


(…)

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