jeudi 16 janvier 2014

REⱭЯUM (1)




Je vais te dire quelque chose. Je tape depuis des jours maintenant. Cloîtré, ici. Je n'ose pas sortir. Et je ne sortirai plus. Ma dernière demeure. Pas loin de toi. Je tape depuis des jours, je répète en boucle depuis des semaines, je retape sans arrêt depuis des mois, des mois, je copie, recopie sous tension, éclair, pupille, rubis, satori, iris dilaté. Je remake la même phrase depuis des années. Je visionne les mêmes bandes depuis des siècles et maintenant je suis prêt. Je vais te dire quelque chose mon Amour. Mon Amour. Mon Amour. Mon Amour. Mon Amour. Mon Amour. Mon Amour. Mon Amour. Mon Amour. Mon. Amour.


>Ça commence comme ça. Au vingtième étage. Tu ne réponds pas. J'imagine que l'avenue President-Kennedy est au pied de mon hôtel. Ici tu sais, je comprime et j’insuffle des balles dans un chargeur, le chargeur de mon glock, celui que je t'ai mis dans le ventre tout à l'heure devant la tirette. Ici, tout le monde a un gun. C'est quoi, c'est rien. C'est le far-west. Bagdad. Je sais que l'avenue President-Kennedy est au pied de mon hôtel. Je viens de prendre l'avion. Il y a un siècle comme si c'était hier. Je suis tendu. Nerveux tu vois.
Tu t'es cru chez Disney ? Avec un français romantique en direct de Panam ? Mais ici ma Belle, c'est l’événement CNN. On ne se déplace pas pour rien. Je te mets un canon scié sur la tempe et tu vides tes comptes sur le trottoir. Une mare. Tu te vides en fait, dans la rue. Sors le chéquier. 26 dollars l'action. Fais tourner l'info c'est de la bonne. Tu verras tout ça en différé si tu t'abonnes. Au pire, je vais te le linker.
Ouais au début, j'ai voulu te tuer.
Et puis finalement.
Forevers yours. Forevers yours. Forevers yours. Forevers yours. Forever yours. Forever yours. Yours. Yours. Yours. Yours. Yours. Yours. Yours. Yours. Yours. Yours. Yours. Yours. Yours. Yours.

(Une nana est déjà venue refaire le plein du frigo. Et le lit. Et les serviettes dans la salle de bain.
Tu sais bien que je suis pas blindé. Je peux pas rester longtemps. C'est ça le pire, tout ce transitoire, ce flottement, ce truc presque irréel je sais que c'est éphémère.
Je ne pourrai pas rester dans cette chambre d'hôtel. Et tu ne réponds pas. J'arrive pas à y croire. Engourdi. Le scénario infernal. Le ciel rouge du crépuscule. L'impossible en mire. Alors je tape, tape, tape. Tout ce qu'il me reste. Je tape depuis des jours maintenant. Dans la chambre silencieuse.)






> Pourquoi bordel. Seul ici. Là. Nuages, vent. L'hôtel avance, vaisseau fantôme aux sonars défaillants. La ville en bas bruisse de grincements rouillés. La télé. Je bloque sur des images passées. Tout ce qu'il reste, ce sont des photos noircies – navire en perdition, silence radio, ondes brouillées, voix dans la tête, station sur orbite silencieux. Silence radio.
Je suis la chondrite qui t'a frôlée la nuit dernière.
Inanna. Entre tes cils, je voyais tout. Je t'écoutais. Te croyais.
Ton absence a bouleversé le relief. Recouvert le monde. You took my heart away – et tu n'es pas là. Tu ne réponds pas. Ton khôl m'a juste laissé des empreintes acides, des cernes sulfuriques. Je ne sortirai plus. Cloîtré, ici. C'est ça la fin de l'histoire. La suite, c'est le néant. Tout le vivant a été vécu. A été vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. A été vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu.Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu. Vécu Vécu. Vécu. Vécu.
Des SUV circulent en bas.
Pensées perforeuses, roborative, rotatoire, rotative, giratoire, tentative, gyroscopiques, pensées à trous, des pointillés finissent les phrases que je commence, les phrases qui s'enchaînent d'elles-mêmes depuis que tu n'es plus, n'es plus là, je ne sais pas où, des incipits traçants explosent à droite et à gauche de la route, pleine lune, sans éclairage public. Pensées snipers, rêveries killeuses, ne me restent que des mails et des photos. C'est chaud. Je ne sais pas où tu es. Dans cette ville que je ne connais pas. À part sur Google Earth.
Je tape. Je tape je ne sais même pas où tu habites.

> Tu ne sais plus où tu habites. Ça avait commencé en débarquant à l'aéroport ce sentiment, cette idée d'étouffer, pris dans les rets d'un truc indéfinissable, insidieux, surveillance vidéo, des caméras dans le dos, des mouchards, l'asphyxie dans le monde réel, à l'air libre. Cette sensation de vide. De transmissions bloquées.
Ça avait commencé exactement quand tu n'avais pas répondu. Comme si je m'y attendais en réalité. Comme si tout était joué d'avance. Des rails jusqu'au fond du camp. La neige.
Une immense et intense impression de fin du monde a recouvert le monde. Le monde. Le monde. Le monde. Le monde. Le monde. Le monde. Le monde. Le monde. L'immonde. L'immonde cadavre. Cadavre. Cadavre. Cadavre. Le monde muet. Sourd. La neige. Sourd. Ailleurs. Je me tire. Je tape depuis des jours maintenant. Le réel électro-choqué. Chambre 237. Défribillateur. Je tape des points, des traits, des lettres, des mots, stakhanoviste des rêves zombies, ouvrier à la chaîne du darkness qui plombe le ciel brouillé de Montréal.
Black friday. Minuit je crois. Je suis seul, seul, seul dans cette pièce. Depuis des jours tu vois. Je n'arrive pas à te joindre. Tu sonnes sans répondre. Tu me laisses en absence. En absence. La fin du monde. Je te jure Inanna. Comme une noyade au ralenti.
Nous, c'est moi maintenant. C'est moi qui tape dans cette chambre d'hôtel.

(...)

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